Parler malgré tout:
La communication assistée (CA)

En Suisse la ressource professionnelle appelée Communication assistée (CA) est connue depuis les années 90.
Les personnes atteintes de troubles importants de la communication sont grâce à elle en mesure de s’exprimer, de s’intégrer et de participer à la vie sociale de leur entourage. Elle leur permet d’accéder à l’instruction et à la culture et à occuper une place active dans la société.

Ce film documentaire éducatif montre la palette étendue des formes variées, méthodes et techniques employées dans la CA, de la façon dont elles sont appliquées et comment les personnes dans le contexte du handicap communiquent avec.

Le film à des sous-titres en français.

La traduction du text de booklet:

Communication alternative et augmentée CAA

Vouloir et pouvoir communiquer avec autrui est un des besoins primaires ressenti par nous tous. La communication influence de manière considérable notre état d’esprit, les expériences que nous faisons, ce que nous vivons, le développement de notre personnalité et la manière dont nous la dévoilons, les activités auxquelles nous participons et finalement notre intégration dans des systèmes sociaux. Nous faisons des connaissances desquelles naissent de nouvelles amitiés, échangeons des informations, transmettons notre savoir, nous disputons, apprenons, exerçons une profession, ce qui exige des compétences communicatives.

L’action de communiquer, à savoir la façon d’agir dans les interactions sociales en général et d'y participer, est la condition préalable pour un développement optimal de tous rapports humains et sociaux. Par l’interaction avec autrui, nous apprenons comment utiliser des systèmes langagiers, des signes et des signaux afin que notre façon d’agir dans une situation soit réussie; en d’autres termes, que nous soyons capables de transmettre clairement notre but, aussi appelé intention de communication, face à quelqu’un, mais également que lors de malentendus, nous puissions les lever grâce à des discussions et négociations sur le contenu du discours à un niveau métacognitif. Ces facultés se nomment compétences communicatives; la faculté de transposer cette compétence en actions sociales s’appelle performance.

Des systèmes de signes tels que, par ex., les langues orales et écrites, le langage des signes sont les vecteurs de la communication. Les langues sont appelées systèmes de signes parce qu’elles disposent d’un système de règles (grammaire et orthographe), résultat de longues négociations durant des générations. C’est-à-dire les contextes culturels d’une communauté ou d’une société définissent les règles et stratégies de la langue et de la communication reconnue socialement. Notre contexte culturel se caractérise par une haute estime du langage oral et écrit dans les échanges interpersonnels. Les personnes illettrées ou ne parlant pas notre langue, par ex., ont un accès très restreint à nos systèmes sociaux, tels que l’école, la formation, le monde du travail et la culture; de ce fait, elles sont marginalisées, discriminées et pas reconnues socialement.

Pourtant, nous ne saisissons pas seulement une situation communicative et son contenu, respectivement son intention parce que nous comprenons des déclarations orales et écrites. En effet, nous transmettons simultanément de nombreux contenus informatifs par des modes de communication non-verbaux et paralinguistiques; notre communication est multimodale. Nous saisissons principalement le message oral grâce aux canaux de l’intonation (accentuation), de la prosodie (mélodie et rythme des paroles), des mimiques, des gestes, etc... De ce fait, les messages dits incohérents et incongrus, c’est-à-dire quand les contenus des paroles ne coïncident pas avec les signaux non verbaux, nous dérangent, nous troublent et nous poussent à engager une discussion à un niveau méta.

Un milieu social favorisant les interactions -
Le développement précoce de la communication


Normalement, nous apprenons dès les premiers cris, les règles, modèles et fonctions de la communication. Par nos interactions présymboliques avec nos proches nous appliquons déjà les structures fondamentales de la communication, à savoir la réciprocité (alternance dans la communication), l’intentionnalité (intention de communiquer) et la coopération (coordination entre l’acte de la compréhension et de la communication, le concept d’aide). Ces structures sont connues et acquises à la fin de la première année de vie et constituent les fondements sur lesquels s’appuient les futurs développements du langage et la communication. «La didactique intuitive parentale» (Papousek 1994), à savoir l’interprétation prompte et, la plupart du temps, adéquate des parents des signaux sonores et corporels, transmet les bases nécessaires pour permettre le développement d’interactions. Dans les interactions sociales, nous apprenons les répertoires sonores, les mécanismes primordiaux de la formation des sons ainsi que les bases pour le développement des aptitudes nécessaires au dialogue, comme par exemple, le tact et le «timing» dans les interactions sociales et le changement de locuteur, nommé «Turn-Taking» (le chacun son tour).

La réciprocité et l’intentionnalité de l’action enfantine se développent durant la première année de vie parce que les parents initient des interactions sociales précoces et parce qu’ils synchronisent leur action avec le comportement actuel de leur enfant. La direction du regard, les mimiques et les sons régulent ces interactions précoces. La réussite de ces interactions dépend autant de la lisibilité des signaux émis par l’enfant et de sa réaction que de la sensibilité et la disposition des parents à réagir constamment à ces signaux émis. Cette prédisposition des parents à stimuler le développement communicatif précoce et pré linguistique de leur enfant ainsi que leur aptitude à réagir promptement, régulièrement et de manière constante à ses initiatives favorisent son développement langagier et cognitif. Les caractéristiques des interactions de l'enfant dépendent de son stade de développement, de son tempérament et de sa santé physique. La façon d’agir des parents est en revanche fortement influencée par leur histoire de vie, leur situation sociale ainsi que leur santé mentale.

Dans un premier temps les personnes de références adultes jouent donc un rôle considérable dans le développement des compétences sociales et communicatives de l’enfant: les parents agissent comme si leur petit enfant était un interlocuteur équivalent et que, par sa réaction, il avait déjà une intention de communiquer. Selon Sarimski (1986), il n’existe pas de différence liée au genre entre les (ré)actions sociales maternelles et paternelles. D’après l’auteur, les parents mènent des soi-disant «pseudo-dialogues», par lesquels les enfants apprennent déjà très tôt les structures et l’importance de la communication à savoir les caractéristiques de la réciprocité, de l’intentionnalité et de la coopération. Seulement dans une étape du développement plus tardive (au plus tard dès la maternelle), les Peers joueront un rôle toujours plus important dans le développement des compétences communicatives durant les différentes étapes et sphères de vie. Or, c’est justement dans cette phase de vie précoce, que peuvent apparaître les premiers signes de dysfonctionnement dans le développement des compétences communicatives chez les jeunes enfants présentant des déficiences dans leur développement: la didactique parentale intuitive en ce qui concerne les interactions proposées par les parents se voit perturbée, les parents sont déconcertés parce que leur comportement intuitif leur parait inadéquat. Par conséquent, leur action communicative change selon le type de déficience de leur enfant.

De plus, en prenant le point de vue de la théorie du modèle écologique de Bronfenbrenner (1989) – l’écologie du développement humain – le rôle essentiel de la communication, plus précisément des compétences communicatives pour le développement humain, devient particulièrement évident. Ce modèle décrit la compétence communicative comme une confrontation active et permanente avec l’environnement matériel et social qui se produit dans les interactions sociales. Ces échanges constants avec l’environnement donnent lieu à des modèles variés et multiples d’activités devenant de plus en plus complexes, de rôles sociaux et d'interactions de l'homme avec son environnement social. C'est pour cette raison, que Bronfenbrenner utilise le terme «écologie» lorsqu'il traite du développement humain. Le poids que joue l'environnement dans ces processus d’interaction entre la personne et son environnement est considérable. C’est pourquoi, des normes sociales et communicatives sont exigées pour qu’une personne puisse participer à son environnement social, s’impliquer activement dans une communauté, être partie prenante de systèmes sociaux et s’intégrer à la société. L’entourage social pose les conditions externes, à savoir le potentiel favorable au développement d’un certain secteur de la vie quotidienne. Ce potentiel augmente selon les moyens dont disposent ces personnes dans certains secteurs de leur vie, que ce soit grâce à l’environnement matériel et social, la motivation déployée pour permettre la participation à des activités devenant de plus en plus complexes, des modèles d’interactions réciproques ou des relations avec d’autres personnes. Parallèlement, les autres possèdent les compétences nécessaires pour accompagner la personne en développement, en fonction de ses capacités et de ses intérêts dans les différentes activités, les interactions, les relations et les rôles de complexité toujours croissante. Tous ces processus font partie de l’interaction et de la communication.

En s’appuyant sur ces suppositions, nous pouvons déduire quatre fonctions d’interactions sociales relatives au développement décisif pour la formation des compétences communicatives:

En s'appuyant sur la perspective des curricula, les exigences, les attentes et les fonctions des aptitudes et des compétences communicatives évoluent et changent selon les différentes étapes de vie. Avec l’âge, la compétence communicative se forme dans les processus sociaux tant à un niveau qualitatif que quantitatif. Les contenus et les intentions qu’une personne place dans la communication interpersonnelle, augmentent d’année en année puisque son cadre de vie et ses possibilités de participation augmentent simultanément. Par conséquent, les autres acteurs intervenant dans sa vie quotidienne ont eux aussi des attentes et des exigences plus élevées par rapport à ses compétences communicatives.

«…les limites de ma parole sont les limites de ma vie…»
(Selon Wittgenstein)



La communication et les interactions sociales dans des conditions difficiles

A cause d’un trouble du développement ou d’un handicap, de nombreux enfants, adolescents et adultes ne peuvent pas / peu parler ou présentent des difficultés à comprendre le langage oral. Pour cette raison, il est difficile pour eux de participer activement aux interactions sociales et d’exprimer leur personnalité au moyen de leurs compétences communicatives. De plus, beaucoup ne comprennent pas ce que l’on attend d’eux dans une interaction sociale. Les causes de ces lourdes déficiences communicatives se révèlent très variées:

Or, si des personnes présentant des déficiences du développement sévères ont des difficultés à développer des compétences communicatives, alors tout leur développement est compromis puisque leurs capacités à se faire une représentation fiable du monde et à construire une relation avec celui-ci sont fortement limitées. Les personnes ayants des déficiences communicatives sévères font souvent l’expérience que les signes et signaux légers, muets et différents qu’ils utilisent ne sont pas ou que très rarement compris par leurs interlocuteurs. De ce fait, ils disposent de beaucoup moins de possibilités d’influencer activement et d’individualiser leur environnement avec autodétermination. Pour ces personnes, ce processus d’échanges, entrave au développement, est synonyme de marginalisation, d’isolation sociale et d'hétéronomie. Ce handicap, touchant tous les aspects sociaux, peut engendrer de graves troubles psychosociaux ou des déprivations intellectuelles.

Ces personnes présentent non seulement des difficultés à s’exprimer verbalement, mais également à comprendre le langage oral; elles présentent peut-être des difficultés encore plus élémentaires si elles n’ont pas encore appris ou pu apprendre les éléments structurels de la communication, tels que les principes de réciprocité, d’intentionnalité, de pertinence et de coopération. Elles veulent faire part de leurs pensées, de leur propre manière de voir les choses, mais leurs intentions ne sont comprises que rarement. De tels échecs lors d'interactions sociales peuvent alors mener à des troubles du comportement connus tels que l’agressivité et l’auto-agressivité. D’autre part, la passivité, la léthargie, l’apathie et finalement «l’impuissance communicative apprise» apparaissent comme des facteurs dominants du développement de leur personnalité.

En outre, les personnes présentant de graves troubles de la communication ne sont souvent pas prises au sérieux par leur entourage, elles sont considérées comme incapables de faire quoi que ce soit et l’on n’attend d’elles aucune contribution de grande valeur pour la communauté et la société. Maiwald (1994) exprime cela de manière pertinente: «je pensais qu’ils pensent que je suis incapable de penser».

De même, Brown (1990) a rédigé ce qu’il a ressenti quand, après des années de silence, il obtint une aide auxiliaire à la communication grâce à laquelle il put parler et écrire. De nouveaux horizons s’ouvraient à lui:&xnbsp;«Je la dessinais- la lettre ’A’. Là, elle était sur le sol à mes pieds (…) je levais le regard. J’avais réussi&xnbsp;! Cette lettre, cette chose qui donnait à mes pensée la possibilité de s’exprimer (…) griffonnée avec un morceau de craie cassé, que je tenais avec mon pied.- Ceci représentait pour moi le chemin vers un monde nouveau, ma clé pour la liberté intellectuelle.»

Ces témoignages autobiographiques montrent à quel point il est nécessaire d’emprunter des voies conceptuelles et pédagogiques nouvelles et différentes afin que des processus de développement puissent se passer grâce à des interactions sociales réussies.

La CAA se concentre et s'interroge sur la manière dont on peut communiquer, comprendre et se faire comprendre, quand des modes de communication alternatifs sont utilisés pour remplacer ou compléter le langage oral et écrit. Un autre objet d’étude de la CAA consiste à comprendre comment la planification systématique, la mise en œuvre et la réflexion d’intervention en CAA peuvent modifier les conditions de la personne afin que ses interactions sociales soient un succès et favorisent ainsi son développement.

La CAA et son histoire

La CAA, internationalement nommée «Augmentative and Alternative Communication» AAC, désigne un champ pluridisciplinaire. Les interventions dans le domaine de la CAA poursuivent le but d’améliorer respectivement de normaliser les conditions communicatives d’une personne fortement limitée dans ses capacités d’interactions et de communication et dont les processus du développement se voient gênés. L’ASHA définit la CAA comme un effort « de compensation des déficiences temporaires ou permanentes des personnes atteintes de troubles graves de l’expression et/ou de la compréhension du langage et par là de réduire les barrières entravant la participation».

Ce domaine d’étude trouva son origine à la fin des années 70 en Amérique du nord, issu de différents courants et sous l’influence de la législation concernant l’intégration sociale des personnes présentant un handicap. La base de ce développement fut le travail avec des tableaux de communications, des langues symboliques (en particulier le système de communication BLISS), l’introduction du langage des signes et de la «Total Communication» avec les sourds, ainsi que le développement d’aides techniques pour écrire, l’ordinateur et les appareils pour personnes présentant une déficience physique permettant le contrôle de leur environnement.

Les intérêts concernant la CAA sont représentés par ISAAC (International Society for Augmentative and Alternative Communication), dans les régions francophones par la section «Isaac Francophone».

Le But de la CAA

Dans la CAA, il s’agit d’une part de réaliser des systèmes de communication individuellement adaptés, composés de symboles et de signes, de moyens auxiliaires pour la communication, de techniques et de stratégies (permettant de faire un choix). D’autre part, les interventions de la CAA doivent avoir pour cible l’environnement social et matériel, ceci par l’abolition de barrières entravant la participation et par la création de situations d’interactions nouvelles et supplémentaires. Il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour commencer une intervention de CAA. Cependant, une utilisation rapide et précoce de la CAA est très sensée, de manière à ce que le développement puisse suivre son cours sans retenue. De nouvelles recherches montrent également que, la CAA n’est pas seulement utile au développement de la communication et du langage, mais qu’elle peut aussi éviter le développement de processus handicapants supplémentaires. Les interventions dans le domaine de la CAA ne s’adressent pas seulement aux enfants, adolescents et adultes concernés, mais également à leurs personnes de références dans le cadre familial et professionnel, qui vivent et/ou travaillent avec eux, aux organismes sociaux engagés en faveur de ces personnes et finalement aussi à la société même, afin que le processus d’inclusion puisse être simplifié.

La troisième dimension de la CAA concerne le plan social: si les formes de communication alternatives veulent acquérir, dans les différents secteurs de la vie quotidienne, une signification semblable que la langue orale et écrite, qui est considérée comme formatrice de l’identité, vectrice de la culture et favorisant le développement cognitif, alors une certaine culture de CAA devrait être établie au sein des domaines de vie des personnes concernées. Car de nombreuses personnes présentant des troubles du développement importants vivent encore dans des institutions ou structures pour personnes handicapées, surtout à l’âge adulte. Ceci signifie que ces organisations sont encouragées à se pencher sur les contenus de la CAA et à les étudier de manière approfondie ainsi qu'à instaurer au plus vite une culture de CAA dans leur établissement tout en créant les cadres structurels nécessaires (ressources en personnel et financières, formations continues spécialisées).

La Communication alternative et augmentée et ses fonctions

La CAA s’adresse principalement aux personnes qui ne peuvent pas s’exprimer oralement ou seulement de manière inintelligible et/ou qui ne comprennent pas la langue orale comme tout un chacun. Trois groupes cibles peuvent être distingués en fonction de l'objectif poursuivi par la CAA:

Groupe cible 1: La CAA est utilisée comme moyen d’expression

La CAA pallie le grand fossé entre une (bonne) compréhension du langage et (déficience provisoire ou permanente) la production, respectivement l’articulation de la langue orale. Le but de l’intervention de la CAA est de trouver des moyens d’expression performants, fonctionnels et alternatifs à la langue orale, tels que par ex. un appareil électronique à voix synthétique. Les personnes atteintes de paralysies cérébrales, d’anarthrie ou de dysarthrie qui, en règle générale ne présentent pas ou une faible déficience cognitive complémentaire, sont les utilisateurs «typiques» de la CAA.

Groupe cible 2: La CAA soutient ou facilite le développement du langage et l’apprentissage de la langue.

La CAA constitue ici une forme de communication complémentaire à la langue orale afin de faciliter ou de favoriser le développement général du langage (production de la parole et compréhension du langage). On a recours à la CAA parallèlement à la langue orale, parce que des troubles graves de l’expression (articulations) rendent les productions langagières que difficilement compréhensibles. Le but visé par la CAA ici est, d’une part de surmonter les problèmes sociaux occasionnés par les moyens d’expressions limités, d’autre part, d’apprendre dans quelles situations la CAA doit être utilisée avec efficacité, c’est-à-dire en complément à la langue orale afin qu’une situation de communication réussisse. Ce groupe cible se compose d’enfants avec une déficience fonctionnelle du langage et de la parole, des personnes de langue étrangère ou de personnes présentant des troubles du langage acquis, tels que l’aphasie.

Groupe cible 3: La CAA propose une propre langue (de remplacement)

Dans ce cas, on a recours à la CAA pour rendre possible l’apprentissage de la faculté d’interactions présymboliques et ainsi parvenir au processus de développement des compétences communicatives, pour, par exemple, permettre le premier pas, à savoir le passage à la communication symbolique. La CAA fait presque office de système de communication alternatif (comme les sourds communiquent avec le langage des signes) pour pouvoir, somme toute, produire et comprendre des interactions sociales (peut-être même transmises oralement). Le but principal poursuivi par les Interventions de la CAA est la création de conditions de vie et d'environnement permettant aux enfants et aux adultes d'apprendre l’utilisation de langues alternatives et de comprendre leurs systèmes, sans jamais avoir recours au langage oral. Ce groupe cible est composé de personnes présentant des déficiences du développement sévères, de personnes ayant d'importantes et multiples déficiences cognitives et des troubles de la perception.

Une personne muette veut également pouvoir s’exprimer, elle aussi a droit à la parole
Sans parole, nous sommes des appareillages morts, isolés et rejetés
C’est un travail important que de fournir une parole aux muets. (Birger Sellin 1993, 134)


La CAA et les systèmes de communication multimodaux

Un principe fondamental de la CAA est la multimodalité dans la communication. La CAA s’appuie ici sur l’approche «total communication» de la pédagogie des sourds. Ceci implique que différentes modalités de communication sont utilisées simultanément et à valeur égale et qu’une ou plusieurs modalités distinctes sont particulièrement soutenues et favorisées. Toutes les possibilités de communication doivent être exploitées afin de faciliter les conditions communicatives des personnes concernées. Ceci concerne autant les moyens de communications naturels (propre au corps) d’une personne, à savoir la parole, l’écriture, les vocalisations, les gestes, la mimique, les mouvements du regard, le langage corporel, que les moyens spécifiques à la CAA, tel que l’utilisation d’aides auxiliaires techniques et de formes propres au corps distinctives (signer). De ce fait, les Intervention de CAA sont également intéressantes et un gain pour les personnes présentant des déficiences cognitives profondes, qui peuvent uniquement communiquer au moyen de formes d’expressions corporelles.

La multimodalité se réfère en outre aux canaux sensoriels, par lesquels la communication peut être appréhendée, respectivement produite, et ce, de manière visuelle, auditive, et tactile. Par l’emploi des différents modes, le message peut souvent devenir compréhensif pour toutes les personnes impliquées: car l’utilisation simultanée des différentes modalités par les partenaires de communication peut aussi faciliter la compréhension langagière et symbolique de la langue orale pour ce groupe de personnes, et donc pas uniquement l’action symbolique active. Il en résulte le devoir principal de la CAA: élaborer des systèmes de communication multimodaux individuels et apprendre leur utilisation et leur maîtrise dans des situations d’interactions sociales favorables au développement, et ceci, par tous les partenaires d’interaction concernés.

Un système de communication multimodal dispose des composantes suivantes:

Les signes

Les signes désignent quelque chose; les symboles sont les représentants de ces derniers. Ce qui est représenté peut être exposé soit de manière statique (les objets, les signes graphiques et iconiques) ou dynamique (comme les gestes, les signes de main, signer, les mouvements des yeux, l’alphabet tactile, la langue orale, la langue synthétique, le morse,…). La plupart du temps, les signes dynamiques sont produits personnellement et sans aide par le «locuteur». Ils existent passagèrement et leur production nécessite généralement de bonnes capacités de motricité fine. Les signes statiques, comme les photos, les objets, les images, l’écriture et les signes graphiques (BLISS, Pictogramme, etc.) sont permanents. Ils doivent pouvoir être reconnus et choisis par l’utilisateur, qui ne doit pas pour autant savoir les produire lui- même, et exigent en principe des aides, telles que des tableaux de communication ou des aides à la communication électroniques, dans ou sur lesquelles les signes sont déposés et enregistrés. Dans les matériaux spécifiques à la CAA on fait la distinction entre les systèmes de symboles (possédant des règles linguistiques) et les collections de signes.

Les aides auxiliaires à la communication

Les aides auxiliaires à la communication permettent de classer, d’organiser et d’entreposer le vocabulaire (ou les signes) et de les tenir prêts à l’emploi. On distingue les aides à la communication électroniques et non-électroniques.

Parmi les aides techniques électroniques, on distingue celles avec ou sans émission vocale. Des exemples du deuxième type d’appareils sont des machines à écrire électriques et différentes applications informatiques proposant des programmes spéciaux d’écritures.

L’énorme avantage des aides à la communication électroniques avec émission vocale est que la communication à distance devient possible. De plus, la communication en groupe ou avec des personnes étrangères est facilitée, parce que les utilisateurs disposent d’une «voix sonore». Les soi-disant ordinateurs parlants disposent d’une émission de voix digitale, d’une voix synthétique (text-to-speech-system), et les nouveaux appareils des deux fonctions. Le progrès technologique et le développement des aides auxiliaires électroniques créent de nouveaux défis autant pour les utilisateurs que pour leurs instructeurs: l’organisation du vocabulaire et sa stratégie (comme par ex. Gateway, speaking Dynamicly, etc.), les structures des écrans dynamiques et l’adaptation des techniques de choix comme, par exemple, dans les nouveaux appareils commandés par le regard.

Les aides auxiliaires non-électroniques sont par exemple des classeurs, des livres, des tables, des emplois du temps, des déroulements de la journée, de la semaine, des tabliers de communications, des albums photos, des déroulements d’activité imagés ou représentés graphiquement, etc. Elles présentent l’avantage qu’elles sont moins sensibles aux pannes techniques, faciles à créer et relativement économiques. Un avantage supplémentaire-comme le soulignent les personnes communiquant par la CAA- est que les partenaires de communication parlants sont impliqués plus activement dans le déroulement de la conversation, puisqu’elles doivent aider à concevoir la «formulation» du message pendant le processus de communication.

Les techniques de choix de symboles

Les techniques sont utilisées pour le maniement des aides auxiliaires, afin de pouvoir choisir et activer le plus rapidement possible les différents éléments du message. Ces techniques de choix nous permettent de produire un message dans un mode de communication distinct. Pour la langue orale, ce sont les techniques de l’articulation, de la vocalisation et de la respiration, pour la langue écrite, l’écriture, pour la langue des signes, la technique de signer. Dans la CAA ce sont principalement les techniques de choix de symboles qui prennent une importance majeure: Les formes de sélection directes, comme montrer, regarder (sur les appareils électroniques également par Eye-tracking), tiper et indirectes, comme le codage ou le balayage (scanning). Le questionnement «Oui-Non» constitue une forme spéciale de balayage, par laquelle le partenaire de communication essaie de trouver un message précis par son questionnement.

Les techniques de choix sont également importantes pour l’organisation et l’affichage du vocabulaire nécessaire: en effet, plus les déficiences motrices sont graves, plus des techniques de choix spéciales deviennent nécessaires, afin de le rendre possible l’activation des éléments du vocabulaire rapidement.

La communication facilitée (FC, facilitated communication) est une technique de choix de symboles très particulière. Grâce à la FC, d’éventuels blocages liés à l’interaction entre l’action et l’esprit peuvent être réduits. Pour cela, il est nécessaire qu’une personne formée et expérimentée prenne le rôle du facilitant. Cette dernière peut petit à petit réduire le soutien de la main de la personne facilitée.

Les stratégies de communication

Les stratégies de communication sont importantes pour mener une discussion. Elles introduisent une conversation, la maintiennent et la concluent. Avec leur aide, nous pouvons changer de sujet de discussion ou exiger qu’un sujet soit poursuivi. Elles permettent également de guider une discussion. Des stratégies différentes sont nécessaires selon la situation de communication. De plus, des techniques et des méthodes pour guider une discussion permettent de régler des malentendus et réengager une discussion interrompue. Les stratégies nous sont déjà nécessaires pour nous permettre d’engager une interaction sociale. Malheureusement les stratégies de conversation sont encore prises en compte trop rarement dans les interventions de CAA.

En principe un système de communication multimodale individuelle est conçu sur la base d’un bilan posé d’après les besoins et les capacités d’une personne. La question directive pour un tel bilan est: Comment une personne fait-elle quelque chose, avec quelle personne de référence, dans quelles situations communique-t-elle déjà de manière à ce qu’elle soit comprise et qu’elle puisse comprendre. Un choix consciencieux du vocabulaire, à savoir les termes et le genre de signes est primordial et doit être vérifié et adapté perpétuellement. Il s’agit donc d’un processus continu. La communication multimodale est cependant aussi une «aide» pour les partenaires d’interactions: par la propre utilisation des modes de CAA, ils deviennent non seulement plus compréhensibles, en communiquant aussi de manière multimodale (malgré le fait qu’ils peuvent parler), mais ils structurent également les situations communicatives de façon à ce que des possibilités de participation et de compréhension soient créées et afin que le développement de la communication puisse prendre forme. C'est uniquement sur cette base que des interventions de CAA supplémentaires peuvent suivre dans les domaines de l’environnement social et matériel, afin d’exploiter au maximum tout le potentiel de développement à disposition et d’augmenter les occasions et l’accès à des interactions sociales. Par-là, les possibilités de participation actives dans la société et la communauté sont accrues et la qualité de vie améliorée.

La Communication Alternative et Augmentée et son grand but:
une participation réussie


Deux déclarations indissociables créent la base de la maxime de CAA, à savoir la Participation: la participation à un évènement social est facilitée par la communication ou devient en partie possible seulement grâce à elle. Une communication réussie est en revanche dépendante de la participation à des évènements sociaux. La participation et l’empowerment sont donc dépendants des compétences communicatives.

De nombreux systèmes sociaux, comme l’amitié, l’école, les loisirs, le travail, la politique, etc. fonctionnent uniquement au moyen de la communication. Ceci implique que celui qui a de meilleures compétences communicatives, rencontre plus de possibilités de participer activement et d’influencer ces systèmes. Pour les personnes présentant des déficiences importantes de la communication, il est plus difficile de s’impliquer dans ce genre de situation, leur participation active est presque impossible. Celui qui arrive à communiquer à quelqu’un, reçoit l’occasion d’avoir de l’influence et de s’exprimer sur un sujet. La CAA veut que chaque personne puisse s’exprimer de façon (plus) compréhensible, afin de pouvoir influencer les autres de manière précise, à savoir communicative.

Pour créer des interactions sociales réussies qui soient favorables aux processus du développement la CAA devient efficace dans deux grands domaines d’intervention: d’une part les interventions de CAA peuvent agir sur des compétences d’action individuelles et d’autre part sur les conditions de l’environnement social et matériel. Au niveau des compétences d’action individuelles, les interventions ciblent, par exemple, les modèles de participation et de communication existants, les processus de compréhension et de communication, les processus de développement dans le champ des compétences communicatives ou cherchent à réduire les difficultés en ce qui concerne les comportements sociaux. Les interventions de la CAA sur l’environnement ont pour but de créer des conditions favorables à la communication, en facilitant l’accès à des interactions sociales, en enseignant les stratégies de dialogue aux partenaires de l’interaction, en aménageant les conditions générales des différentes situations afin qu’une première action commune puisse avant tout avoir lieu, à savoir&xnbsp;que la coopération devienne possible et que les occasions de communications se multiplient.

Parce que, pour les personnes présentant des déficiences du développement sévères, des milieux de vies variant dans leur structure sont rarissimes et qu’elles ne prennent que peu part à des activités coopératives variées, elles n’ont à disposition qu’un choix restreint de possibilités d’action, et ceci particulièrement si elles vivent dans les structures figées d’une organisation pour personnes handicapées. L’environnement social met en place les champs d’action et d’interaction et définit ainsi les opportunités de participation. Ainsi ce que les autres personnes de l’environnement social ne peuvent pas s’imaginer, devient encore moins atteignable pour les personnes avec des troubles du développement. Les barrières à la participation trouvent, de ce fait, souvent leur origine dans l’attitude et dans la faculté d’imagination des partenaires d’échange (professionnels). Ce sont principalement les barrières dans notre tête qu’il s’agit d’abolir.

Les interventions de CAA axées sur l’espace social et le système écologique permettent d’analyser l’ensemble des situations communicatives, afin d’augmenter, dans le domaine des conditions générales structurelles, la participation sociale et ainsi d’agir sur les plans socio-politique ou sur les idéaux et les attentes d’autrui par rapport aux attitudes. La question du type de culture communicative régnant dans la société, dans le système social, ou plus spécifiquement dans les organisations et les institutions sociales se pose également: Aspire-t-on à une propre culture de CAA, dans laquelle la communication multimodale est centrale? Ou est-ce que la CAA est limitée aux heures de soutien individuel- ce qui restreint ainsi les possibilités et le droit de communiquer à ces périodes?

«Manifeste-toi! Tapote sur la table et n’abandonne pas!» (Arne Maiwald)


La CAA et ses maximes

La CAA fournit un apport conceptuel considérable aux maximes à la base du travail spécialisé dans le contexte du Handicap:

La maxime de la normalisation

La pensée de normalisation va de pair avec l’attente que les enfants et les adultes présentant des déficiences au niveau du développement puissent avoir à disposition des conditions de vie normales. De plus, ils doivent obtenir des occasions et des champs d’action qui leur permettent de prendre activement part à des domaines de vie et des interactions sociales nombreuses, variant le plus possible dans leurs structures. Ainsi ces personnes reçoivent des possibilités d’exercice et récoltent de nombreuses expériences communicatives.

La maxime de la participation

Participation signifie, avoir part activement à autant d’évènements sociaux que possible et pouvoir participer à la prise de décision. Des processus de développement favorables dépendent directement du nombre de domaines structurellement différents et ils se passent lorsque la personne participe à des activités coopératives multiples et quand ces interactions sociales sont ressenties comme étant réussies. Pour cela une démarche systématique, telle que le permet, par exemple, le modèle de participation (Beukelman/Mirenda 1998) est nécessaire afin de garantir un travail compétent de la CAA. La mission professionnelle dans le contexte de la participation consiste dans la saisie et l’abolition des barrières inhibant la participation dans des activités communes quotidiennes et des routines. Ceci permet le développement de nouvelles formes d’interaction et de communication. Par la nouvelle classification ICF (International Classification of Functioning, Disability and Health, WHO 2002) de l’OMS, le but d’une participation augmentée reçoit une importance très élevée dans le travail pédagogique des organisations se penchant sur le champ du handicap. La convention des NU relatives aux droits des personnes handicapées réclame pour les personnes présentant des déficiences du développement (graves) des conditions de vie, qui permettent, améliorent et aient comme but l’inclusion et le sentiment d’appartenance sociale à la collectivité.

La maxime du suivi du développement

Le suivi du développement dans la CAA se comprend comme une évaluation constante et continue des capacités, compétences et situations communicatives et ceci à travers toutes les phases de la vie, tout au long de la vie. La planification, l’exécution et l’évaluation des interventions de CAA se rapportent en conséquence non seulement aux besoins momentanés, mais sont également orientées vers le futur en vue de ce que la personne nécessitera, saura, voudra ou pourra savoir plus tard. Les processus de développement dans le domaine de la communication peuvent être considérés comme des processus constants d’adaptations et d’interactions entre la personne et son environnement social et matériel.

La maxime de l’orientation biographique

S’orienter à la biographie signifie que les différentes expériences communicatives et la biographie soient prises en compte dans les interventions de la CAA. De même les attentes et exigences face aux compétences communicatives dans les différentes phases sociales et étapes de vie, celles-ci variant fortement selon l’âge, se trouvent au centre des perspectives.

La maxime du travail transdisciplinaire

Des équipes pluridisciplinaires dont les membres coopèrent à la recherche d’un consensus et de solutions aux problèmes sont formées autour et avec la participation de la personne communiquant alternativement. Ces équipes ont comme tâche de planifier, exécuter, évaluer les interventions de CAA, ainsi que de refléter ensemble les résultats avec un regard théorique. Afin de faciliter le travail, il est conseillé de désigner une personne qui soit responsable de la coordination. En effet, les expériences révèlent encore et toujours que la CAA échoue quand toutes les parties prenantes ne sont pas incluses aux systèmes sociaux ou qu’elles ne poursuivent pas le même but avec le même engagement. Sous cette forme, la CAA ou, plus précisément, la culture de CAA peut être ancrée structurellement dans le cadre de vie quotidienne des personnes présentant des déficiences communicatives sévères.

La formation continue dans le domaine de la CAA

L’offre de cours de CAA (ou dans des domaines partielles de la CAA) a fortement augmenté ces dernières années. Les développements fondamentaux des nouvelles technologies d’information ont non seulement agrandi les secteurs mais aussi les possibilités d’utilisation des moyens de communication électronique. Ceci a, par conséquent, accru le besoin d’informations et de cours.

Quelques spécialistes en CAA des régions germanophones ont effectué un travail conceptuel important en ce qui concerne la formation continue en CAA. Le BUK, à l’époque sous la forme d’un bureau pour la communication alternative et augmentée (BUK, Büro für Unterstützte Kommunikation) existe par exemple depuis 1997&xnbsp;en Suisse; depuis peu le BUK est devenu une association poursuivant comme but la formation en CAA (Bildung für unterstützte Kommunikation). En coopération avec FHNW (Fachhochschule Nordwestschweiz, la haute école spécialisée de travail social du nord-ouest de la Suisse), et plus précisément avec l’institut pour l’intégration et la participation, l’association propose un Certificat de formation continue répondant aux règles de Bologne, un CAS également reconnu comme formation continue par ISAAC-GSC (partie germanophone de ISAAC).

Mot de la fin

Si la CAA veut être implémentée comme concept durable dans la pratique et dans les domaines de vie quotidienne, des réflexions conceptuelles doivent être menées comme en témoignent les expériences empiriques réussies faites durant de nombreuses années. Il s’agit d’abord de garantir les conditions générales professionnelles et structurelles, afin que l’apprentissage de la CAA et son implication dans tous les domaines de vie paraissent judicieux et significatifs à toutes les personnes associées au projet. Les personnes directement concernées doivent elles-mêmes faire l’expérience qu’il vaut la peine d’utiliser la CAA afin de s’afficher de façon plus différenciée, de participer et d’influencer la société et à la communauté.

«Je peux encore vous raconter quelque chose de beau:
Alors que j’avais encore «Hector» à l’essai, nous sommes allés dans le Café Overdeck.
A l’aide d'Hector, j’ai commandé un café et un morceau de gâteau.
La serveuse m’écouta et m’apporta ma commande.
Elle était très sympathique et moi très fier, parce que ça avait si bien marché.
A cet instant, je n’ai plus pensé à mon handicap.»
(Arne Maiwald)



Prof. Dr. Dorothea Lage, Sonderpädagogin
Fachhochschule Nordwestschweiz
Hochschule für Soziale Arbeit, Institut Integration und Partizipation
Riggenbachstrasse 16, CH - 4600 Olten
dorothea.lage@fhnw.ch      www.fhnw.ch/sozialearbeit      www.buk.ch